Nash est un étudiant hybride que l'on pourrait qualifier de banal à première vue. Néanmoins, lorsqu'on l'observe plus en détail, on peut remarquer qu'il semble rejeter autrui. Enfin, il n'est pas méchant ni asocial, mais il reste très méfiant. Même si les étudiants qui l'entourent sont comme lui, après avoir passé deux longues années dans la rue il a de grandes difficultés à octroyer sa confiance. Le coup-bas de son père l'a réellement brisé, il craint d'être trahi de nouveau. C'est pourquoi il cherche la solitude. S'il semble agacé lorsque l'on vient à sa rencontre ; ceci n'est qu'une façade. Il a simplement besoin d'un peu de temps et de repères. Il a un problème avec la nourriture, elle lui apparaît comme une vraie ennemie. Il n'est pas anorexique ni boulimique, mais ayant été dans le besoin toute sa vie, il est habitué à se nourrir de presque rien.

Peut-être qu'ils ne sont pas riches. Peut-être qu'ils ne mangent pas à leur faim. Peut-être que leur appartement est tout petit, si petit qu'on y étouffe. Peut-être que maman est toujours fatiguée. Peut-être que papa est irritable. Peut-être qu'ils travaillent beaucoup tous les deux et qu'ils ont un salaire tellement bas. Peut-être que Cameron doit fournir le double d'effort que ses petits camarades de classe. Tout cela est même si certain. Oui, ces hypothèses se vérifient, et pourtant. Le petit Cameron a quelque chose que les autres n'ont pas ; le bonheur. Parce que les histoires de son papa à défaut de la télévision ou de la radio sont merveilleuses. Que la cuisine de sa maman qui doit parfois se servir dans les gâchis des hypermarchés est délicieuse. Et parce que les rires et les câlins sont gratuits mais c'est tout ce dont il a besoin.


Il a douze ans lorsqu'il réalise que sa jolie image de la famille appauvrie mais heureuse est si fausse. Parce que ça fait longtemps que maman a un amant. Et que ce n'est pas la première fois que papa la frappe. Mais il a douze ans lorsque tout éclate et qu'il doit partir vivre avec son père dans un local tellement miteux qu'il se demande comment on peut les laisser habiter dedans. Comment son papa accepte tout cela.


Cameron a maintenant treize ans et il ne comprend pas ce qu'il fait dans cette clinique. Pourquoi les médecins l'auscultent, le mesurent et lui font passer toute sorte de test. Son père – qui perd peu à peu son image de héros – lui dit simplement que « ça va aller ». Alors, il a confiance et il se laisse faire. Mais il a peur. Et personne n'est là pour le rassurer.


Il ne sait pas ce qu'ils voulaient lui faire, à la clinique. Cameron est tombé gravement malade. Une pneumonie que la vieille sorcière a dit. Depuis, elle lui donne des breuvages et des grigris, pour le faire guérir, parce que l’hôpital est trop cher. Son père s'est mis dans une colère noire lorsque Cameron s'est montré incapable de se lever un matin, après s'être plaint toute la semaine de maux douloureux. Il ne comprend pas.


Il a guéri. Il a maintenant plus de quinze ans. Il est de retour à la clinique. Il s'agite, un peu. Il questionne, beaucoup. Mais personne ne lui répond. Le regard des médecins autour de lui est si froid. Comme si Cameron n'est qu'un objet. Et lorsqu'il l'emmène vers le bloc, habillé de sa blouse verte, la dernière image qu'il emporte est celle de son père amassant une grosse liasse d'argent, une lueur folle dans le regard.


Cela fait une ou deux semaines qu'il est à Broken Academia. Nash a dix-huit ans. Il a mis longtemps à ne plus se considérer comme un monstre. Il n'a rien demandé à personne lui. Jamais il n'a voulu devenir un hybride, il n'a jamais demandé à ce qu'on le transforme. Mais son père était fou de l'argent – obsession exacerbée par sa vie de misère. Alors, contre une somme rondelette, il avait fait cobaye son fils, sans regret. Nash ne le lui a jamais pardonné. Il s'est enfui, peu après son opération.  Haïssant les autres, dégoûté de lui-même. Une créature il était devenu. Il errait dans les villes, refusant l'aumône, préférant vivre comme un voleur. C'est là qu'il a décidé de se faire appeler sous son deuxième prénom. Et puis un jour, il s'est inscrit dans cette académie, qui représente pour lui une véritable deuxième chance. Elle lui permet de vivre comme un adolescent normal, de dormir au chaud et de se nourrir convenablement. Et surtout, d'accepter qui il est.